J’ai le souvenir d’une cliente un peu désarçonnée car, dans la certitude où elle se trouvait d’avoir épousé un homme qui ne buvait jamais d’alcool, elle ne voyait pas tous les signes avant-coureurs de l’alcoolisme de son mari. Seul, le choc de le surprendre en train de boire du Porto à la bouteille lui a décillé les yeux. La confrontation au réel l’a fait sortir de sa méconnaissance.
Comment cela est-il possible de ne pas voir, ou de mal interpréter, des signes évidents pour les autres ? Une option de réponse se trouve dans la différence ontologique, pourrait-on dire, entre savoir et connaissance.
Comment cela est-il possible de ne pas voir, ou de mal interpréter, des signes évidents pour les autres ? Une option de réponse se trouve dans la différence ontologique, pourrait-on dire, entre savoir et connaissance.
Le savoir et la connaissance
Qu’est-ce que le savoir ? C’est un ensemble de données issues du réel qui sont stockées dans des réservoirs, comme les livres, les bibliothèques, les bases de données, les films, etc. Ces données sont accessibles en-dehors de la médiation humaine.
C’est un savoir théorique. Par exemple, on peut apprendre que les mammifères prédateurs ont une vision focale pour mesurer la distance entre eux et leur proie potentielle, alors que les mammifères herbivores, non prédateurs, ont une vision périphérique pour voir venir le danger de loin et pouvoir s’enfuir. Le savoir s’apprend, se sait, se récite, ou ne se sait pas. Pour l’évaluer, on pose des questions : 1515 ? Iéna ? La table de multiplication ? La fable du corbeau et du renard ? La recette du soufflé au fromage ? Etc.
L’école est une vaste entreprise de savoirs à acquérir. La question, ensuite, se pose de savoir si tous ces savoirs engrangés dans le cerveau sont utiles dans la vie quotidienne. Un savoir qui n’est pas réactivé s’oublie. Faut-il une tête bien faite ou une tête bien pleine ?
La connaissance est tout autre. Elle s’acquiert par l’expérience. C’est un savoir intégré, stocké dans le cerveau limbique et mémorisé par les émotions qui s’y rattachent. Par exemple, si je prends une contravention pour avoir omis de payer le stationnement payant, la contrariété que j’en ressens me fera m’en souvenir et ne plus oublier de payer mon dû. Et la densité des émotions ressenties fait qu’on retire plus de connaissance de nos expériences d’échec, que d’expériences de réussite. Pour quelles raisons ? Parce qu’il y a plus d’enseignements à tirer d’un échec que d’une réussite : L’échec nous fera nous poser des questions et tirer les enseignements de cette expérience. Tandis que la réussite nous fait plaisir, certes, mais il n’y qu’à continuer comme avant. Et entrer dans la routine.
C’est un savoir théorique. Par exemple, on peut apprendre que les mammifères prédateurs ont une vision focale pour mesurer la distance entre eux et leur proie potentielle, alors que les mammifères herbivores, non prédateurs, ont une vision périphérique pour voir venir le danger de loin et pouvoir s’enfuir. Le savoir s’apprend, se sait, se récite, ou ne se sait pas. Pour l’évaluer, on pose des questions : 1515 ? Iéna ? La table de multiplication ? La fable du corbeau et du renard ? La recette du soufflé au fromage ? Etc.
L’école est une vaste entreprise de savoirs à acquérir. La question, ensuite, se pose de savoir si tous ces savoirs engrangés dans le cerveau sont utiles dans la vie quotidienne. Un savoir qui n’est pas réactivé s’oublie. Faut-il une tête bien faite ou une tête bien pleine ?
La connaissance est tout autre. Elle s’acquiert par l’expérience. C’est un savoir intégré, stocké dans le cerveau limbique et mémorisé par les émotions qui s’y rattachent. Par exemple, si je prends une contravention pour avoir omis de payer le stationnement payant, la contrariété que j’en ressens me fera m’en souvenir et ne plus oublier de payer mon dû. Et la densité des émotions ressenties fait qu’on retire plus de connaissance de nos expériences d’échec, que d’expériences de réussite. Pour quelles raisons ? Parce qu’il y a plus d’enseignements à tirer d’un échec que d’une réussite : L’échec nous fera nous poser des questions et tirer les enseignements de cette expérience. Tandis que la réussite nous fait plaisir, certes, mais il n’y qu’à continuer comme avant. Et entrer dans la routine.
La routine
La routine est à la fois un bienfait et une source potentielle de dangers. C’est un bienfait, car notre cerveau nous facilite la vie en engrangeant des automatismes, qui nous font faire une économie substantielle d’énergie, énergie alors disponible pour des activités plus enrichissantes.
C’est ainsi que nous ne faisons plus attention à notre équilibre quand nous marchons, ni à nos gestes quand nous conduisons. La routine sécurise le cerveau reptilien qui est centré sur la survie. « Si ça a fonctionné hier, et les autres jours avant, il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas aujourd'hui, ni demain. Donc continuons ! » Le cerveau reptilien a le changement en horreur, car tout changement, pour lui, est source d’inconnu, de surprise, de danger. Donc à éviter. Et ne perdons pas de vue que le cerveau reptilien, tel un prélat, a priorité sur les 2 autres cerveaux, limbique et néocortex, et qu’en cas de danger, il prend la main. C’est ainsi, d’ailleurs, qu’on peut anesthésier le néocortex d’une personne, ou d’une population, par le danger de mort distillé au fil des jours…
La routine c’est très bien, dans un univers clos et prévisible. Mais comme l’a dit Héraclite d’Éphèse au VIe siècle av. J.C., « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. » C'est-à-dire que tout change, en permanence, et que « Rien n’est permanent, sauf le changement. »
C’est en cela que la routine est un danger potentiel, car elle endort la vigilance. La routine nous incite à penser que les choses sont bien comme elles sont, bien calées, sans grain de sable dans les rouages, puisque huilés par l’habitude.
C’est ainsi que nous ne faisons plus attention à notre équilibre quand nous marchons, ni à nos gestes quand nous conduisons. La routine sécurise le cerveau reptilien qui est centré sur la survie. « Si ça a fonctionné hier, et les autres jours avant, il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas aujourd'hui, ni demain. Donc continuons ! » Le cerveau reptilien a le changement en horreur, car tout changement, pour lui, est source d’inconnu, de surprise, de danger. Donc à éviter. Et ne perdons pas de vue que le cerveau reptilien, tel un prélat, a priorité sur les 2 autres cerveaux, limbique et néocortex, et qu’en cas de danger, il prend la main. C’est ainsi, d’ailleurs, qu’on peut anesthésier le néocortex d’une personne, ou d’une population, par le danger de mort distillé au fil des jours…
La routine c’est très bien, dans un univers clos et prévisible. Mais comme l’a dit Héraclite d’Éphèse au VIe siècle av. J.C., « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. » C'est-à-dire que tout change, en permanence, et que « Rien n’est permanent, sauf le changement. »
C’est en cela que la routine est un danger potentiel, car elle endort la vigilance. La routine nous incite à penser que les choses sont bien comme elles sont, bien calées, sans grain de sable dans les rouages, puisque huilés par l’habitude.
Le cheval névrosé de Paul Watzlawick
Selon Paul Watzlawick, un des pères fondateurs de la théorie de la communication dans l’École de Palo Alto, la névrose se définit comme « La reproduction du passé, ou des stratégies gagnantes du passé, sans adaptation à l’évolution des circonstances présentes ».
Il prend comme illustration, l’histoire fictive d’un cheval dans un box expérimental, avec une plaque électrique sous la patte avant gauche. Avant de recevoir un courant électrique douloureux, il entend une sonnette 5 secondes avant. Assez rapidement, il fait le lien entre la sonnette et le courant électrique, et dès qu’il l’entend, il lève la patte pour éviter de recevoir du courant. Ça devient une routine, un réflexe conditionné.
Mais au bout d’un moment, on cesse d’envoyer du courant dans la plaque, même si la sonnette sonne toujours. Et le cheval continue à lever la patte. Autant lever la patte pour éviter de recevoir du courant était une stratégie adaptée, autant le réflexe conditionné de lever la patte, sans vérifier de temps en temps que le courant passe toujours dans la plaque est une névrose selon Watzlawick. Les analystes transactionnels pourraient dire que c’est une méconnaissance, avec l’amère satisfaction de se dire que nous sommes tous cafis, bourrés de méconnaissances.
Il prend comme illustration, l’histoire fictive d’un cheval dans un box expérimental, avec une plaque électrique sous la patte avant gauche. Avant de recevoir un courant électrique douloureux, il entend une sonnette 5 secondes avant. Assez rapidement, il fait le lien entre la sonnette et le courant électrique, et dès qu’il l’entend, il lève la patte pour éviter de recevoir du courant. Ça devient une routine, un réflexe conditionné.
Mais au bout d’un moment, on cesse d’envoyer du courant dans la plaque, même si la sonnette sonne toujours. Et le cheval continue à lever la patte. Autant lever la patte pour éviter de recevoir du courant était une stratégie adaptée, autant le réflexe conditionné de lever la patte, sans vérifier de temps en temps que le courant passe toujours dans la plaque est une névrose selon Watzlawick. Les analystes transactionnels pourraient dire que c’est une méconnaissance, avec l’amère satisfaction de se dire que nous sommes tous cafis, bourrés de méconnaissances.
De la connaissance à la méconnaissance
Quel est le processus qui nous fait passer de la connaissance expérimentée, ressentie, vécue, intégrée dans nos cellules à la méconnaissance, c'est-à-dire à « l’omission inconsciente d’une information utile à la résolution d’un problème » ?
C’est une question de confiance. Autant, lorsqu’il s’agit d’un savoir, nous allons vérifier nos sources, la validité des informations, autant quand il s’agit de nos connaissances, nous nous faisons confiance en raison du processus d’intégration de ces connaissances. Nous les avons acquises avec notre cerveau, nos tripes, notre corps. C’est du vécu. C’est du solide.
Mais nous oublions que notre expérience, valide au moment où nous l’avons vécue, et précieuse d’enseignements, est restée figée au moment où nous l’avons vécue. Or le monde change, continue sans cesse à changer, comme la danse des planètes autour du soleil, sans que nous nous y attachions d’attention ni d’importance, puisque c’est une expérience acquise.
Un exemple : si, d’aventure, vous démarrez votre carrière professionnelle dans une institution dont vous connaissez, au bout d’une dizaine d’années, les rouages, la culture, le fonctionnement, les jeux d’influence et de décision, quasiment les yeux fermés. Et au bout d’une autre dizaine d’années, vous y revenez, à un poste de décision… Si vous avez gardé en mémoire, stocké précieusement dans la connaissance que vous en avez acquise par l’expérience dans la durée, le fonctionnement de cette institution, le risque est de croire que vous savez déjà tout ce qu’il y a à savoir.
C’est une question de confiance. Autant, lorsqu’il s’agit d’un savoir, nous allons vérifier nos sources, la validité des informations, autant quand il s’agit de nos connaissances, nous nous faisons confiance en raison du processus d’intégration de ces connaissances. Nous les avons acquises avec notre cerveau, nos tripes, notre corps. C’est du vécu. C’est du solide.
Mais nous oublions que notre expérience, valide au moment où nous l’avons vécue, et précieuse d’enseignements, est restée figée au moment où nous l’avons vécue. Or le monde change, continue sans cesse à changer, comme la danse des planètes autour du soleil, sans que nous nous y attachions d’attention ni d’importance, puisque c’est une expérience acquise.
Un exemple : si, d’aventure, vous démarrez votre carrière professionnelle dans une institution dont vous connaissez, au bout d’une dizaine d’années, les rouages, la culture, le fonctionnement, les jeux d’influence et de décision, quasiment les yeux fermés. Et au bout d’une autre dizaine d’années, vous y revenez, à un poste de décision… Si vous avez gardé en mémoire, stocké précieusement dans la connaissance que vous en avez acquise par l’expérience dans la durée, le fonctionnement de cette institution, le risque est de croire que vous savez déjà tout ce qu’il y a à savoir.
Et vous négligez d’adopter la posture du néophyte, le regard innocent du Candide de Berne, qui l’œil grand ouvert, observe, demande, et cherche à comprendre ; ou pour le dire autrement, vous croyez vous positionner, du haut de votre expérience acquise, au stade de l’indépendance ou de l’interdépendance, alors que, dans la réalité, vous êtes revenu, sans en avoir véritablement conscience, au stade de la dépendance dans le Cycle de la dépendance de Katherine Symor.
À vos risques et périls…
À vos risques et périls…
Pour en savoir Plus
Du même auteur sur le blog : « Méconnaissances, entre compétences et incompétences inconscientes »
Henri Laborit, Éloge de la fuite, Folio, (Essai), 1985
Ken Mellor et Eric Schiff, « Méconnaissances », A.A.T., 3, 1977, pp. 133-139. C.A.T., 2, pp. 151-157.
Katherine Symor, « Le Cycle de la dépendance », A.A.T., 27, 1983, pp. 140-145. C.A.T., 3, pp. 241-246.
Paul Watzlawick, Faites vous-même votre malheur, Seuil, 1990.
Henri Laborit, Éloge de la fuite, Folio, (Essai), 1985
Ken Mellor et Eric Schiff, « Méconnaissances », A.A.T., 3, 1977, pp. 133-139. C.A.T., 2, pp. 151-157.
Katherine Symor, « Le Cycle de la dépendance », A.A.T., 27, 1983, pp. 140-145. C.A.T., 3, pp. 241-246.
Paul Watzlawick, Faites vous-même votre malheur, Seuil, 1990.
Marielle De Miribel
P.T.S.T.A. Organisation
Formatrice Certifiée en P.C.M. et P.S.N.