Disputes dans les couples au temps du confinement

couple
Etre confiné chez soi pendant trois semaines ou plus avec son amoureux ou son amoureuse, son copain, sa copine, son conjoint, sa conjointe ne devrait pas poser de problèmes. 
Comment l’autre, dont la présence nous manquait tant dans la vie antérieure, pourrait-il devenir de trop ? 

Pourtant, rien n’est simple. Nous avons vu que la satisfaction de nos besoins fondamentaux était rendue difficile par la situation de confinement, d’où le risque plus grand de disputes, suite à des conflits entre les besoins de l’un et ceux de l’autre. 
L’impossibilité de sortir pour se changer les idées va aussi compter : les stratégies habituelles de désescalade dans les disputes ne sont plus disponibles. On parle déjà du nombre de divorces au sortir de la crise tout autant qu’on parle du nombre de naissances dans neuf mois !

Il importe donc d’identifier les situations à risque. Les problèmes peuvent venir des jeux psychologiques favoris de chacun. 
Les jeux psychologiques sont des séquences comportementales complémentaires apprises dans l’enfance que nous reproduisons inconsciemment avec nos proches et dont nous sommes prisonniers. Ces disputes qu’ils entraînent peuvent être anodines (premier degré des jeux) ; elles peuvent déboucher sur une rupture (deuxième degré) ou sur la violence mortelle (troisième degré). D’où l’intérêt de les repérer afin d’éviter toute escalade. Sinon elles deviennent lourdement dommageables.

Parmi les jeux conjugaux[1], j’ai relevé trois modèles : 
- celui de « Sans toi », 
- celui de « Ereinté(e) » 
- et celui de « Coïncé ».

Dans le jeu de « Sans toi », la femme reproche à son mari de l’obliger à rester chez elle, alors qu’en fait elle a peur des rencontres sociales. Elle se plaint auprès de ses amies et passe pour la victime d’un tyran. Lui est terrifié à l’idée de rentrer un jour à la maison et de découvrir qu’elle est partie et qu’il est seul. Les deux personnes ont fait alliance en secret entre leurs états du moi Enfant.

Berne, en homme de son époque, nous propose le dialogue suivant au niveau social :
- Reste à la maison et occupe toi du ménage
- Sans toi j’aurais pu faire une carrière de concertiste


Avec, au niveau caché, un échange différent :
Tu dois toujours être à la maison quand j’y rentre. Je suis terrifié à l’idée que tu puisses m’abandonner
Je resterai à la maison si tu m’aides à éviter les situations dont j’ai peur 


La femme a donc épousé un homme autoritaire de façon à ce qu’il restreigne ses activités à elle, lui évitant de se mettre dans des situations qui l’effraient. Au lieu de lui manifester sa reconnaissance, elle se plaint des limitations, ce qui met son conjoint mal à l’aise. Son avantage est qu’elle peut jouer à « sans lui » avec ses amies. La femme rejette en fait sur son mari la responsabilité du choix qu’elle a fait en l’épousant. : « Ah si je ne t’avais pas épousé, je n’aurais pas renoncé à mon métier pour toi, je pourrais sortir et m’amuser  au lieu d’être cloitrée dans ma cuisine ! » 

Il faut que le partenaire partage un peu de la culpabilité pour que ça marche. Le jeu est caractérisé par la mauvaise foi. En général les couples s’apparient pour des raisons de complémentarité, chacun entrant inconsciemment dans le jeu favori de l’autre.

Le mari peut être aussi dans le rôle de la victime qui se plaint. Nous ne sommes plus à l’époque de Berne ! A notre époque où nous sommes devenus sensibles à l’influence du fonctionnement resté patriarcal de la société, nous pouvons imaginer la situation inverse. Que de personnes talentueuses, effrayées par l’idée de ce qu’elles devraient faire si elles devaient réaliser leurs ambitions, se plaignent d’avoir un conjoint ou une conjointe autoritaire, trop esclave de ses copains de pêche ou de foot ou de sa chaleureuse parentèle pour aller vivre ailleurs !

Le jeu de « Coïncé » consiste à refuser avec hypocrisie de donner à l’autre ce qu’il veut et de faire comme si on l’ignorait. Voici la situation décrite par Berne : Madame Leblanc propose à monsieur Leblanc d’aller au cinéma. En général quand ils vont au cinéma ils font l’amour au retour. Mais cette fois une dispute éclate à propos de l’argent qu’il faudrait avoir pour repeindre la maison. Le résultat final c’est que Monsieur Leblanc claque la porte et va seul au cinéma et que sa femme se retrouve pleine de rancune. Au retour, il sera privé de sexe, mais elle aussi. La femme souhaite être « cajolée » selon le terme de Berne. Le mari voudrait qu’on reconnaisse son héroïsme pour subvenir aux besoins du ménage. Elle voudrait des caresses physiques ; lui des signes d’admiration. Chacun refuse de donner à l’autre ce qu’il espère, pour une raison quelconque.

Berne dit que la plupart des jeux conjugaux sont destinés à éviter l’intimité. En période de confinement, le choix d’un film à regarder ensemble peut faire l’affaire. Les corvées ménagères mal réparties jouant le rôle de l’argent qu’on n’a pas pour repeindre la maison. Les sources de frustrations nombreuses sont autant d’occasions pour hameçonner son (ou sa) partenaire.

Le jeu de « Ereintée » concerne les femmes surchargées de tâches, les ménagères qui font face à tout et sont bonnes pour le burn-out. Ces femmes se marient, dit Berne , avec le fantasme que leur mari a de sa propre mère qui faisait soi-disant tout parfaitement. Elles n’arrivent pas à renoncer à être parfaites ou à passer pour telles. Les conditions de vie modernes mettent les femmes plus en danger que les hommes. Il arrive que le mari tienne la maison quand sa femme travaille, mais est-il si fréquent qu’il le fasse en plus de son activité professionnelle ?

Les disputes de premier niveau réclament quelques remèdes de base : repérer les besoins de l’un et de l’autre, négocier la répartition de l’espace, du temps, se donner des signaux d’alerte, ne pas oublier de se dire des choses gentilles qui mettent de l’huile dans les rouages, chercher le plus possible à obtenir le consentement de l’autre. C’est un fonctionnement démocratique. 

Dans le cas du jeu « Sans toi », il faut aller plus loin, connaître ses faiblesses, accepter la responsabilité de ses choix de vie et regarder les bons côtés de la situation. 
Le jeu de
 « Coïncé » réclame aussi d’être honnête avec soi-même et avec l’autre : chacun connaît les points faibles de l’autre. S’abstenir d’appuyer sur ces points faibles est une bonne manifestation d’alliance. 
Quant au jeu
 « Ereinté(e) », je vous invite à écouter les féministes qui ont mis en évidence le poids des rôles genrés dans l’éducation des enfants. La négociation et la bonne humeur ont le pouvoir d’éviter l’escalade. Dans le cas contraires, les couples au sortir de la crise auront de la peine à se supporter et se sépareront ou pire auront atteint le troisième degré des jeux  à savoir la violence contre l’autre et /ou contre soi.

 A la prochaine fois :  les jeux de pouvoir au temps du confinement.

[1] Eric Berne : Des jeux et des hommes, Psychologie des relations humaines, Stock 1975
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